Histoire complète

Un velours noir piqueté de diamant... Voilà ce qui se trouve tout autour de moi, un horizon de ténèbres que les étoiles tentent, en vain, d'éclairer. En-dessous, une sphère bleue et brune, immense et pourtant minuscule, de larges nuages blancs la parcourent en voletant, indolent, au-dessus des mers, des continents.

Je tombe ?

Oui, ma chute semble infinie, pourtant la chute est rapide, je vois la sphère grandir, grandir, elle englobe peu à peu tout mon champ de vision, en face de moi. L'océan, d'ici, il me semble si lisse, comme une plaque de verre bleuté légèrement courbée. Quelques masses cotonneuses obstruent mon regard. Derrière moi, le soleil ne semble pas se rétrécir, la distance est, sans doute, trop importante.


La pression.

Chose étrange, je sens soudain que quelque chose ralentit ma chute, ha oui : l'air. Les molécules en tout genre qui constituent l'atmosphère me heurtent la peau par milliard de milliard, je les sens, cela chauffe doucement puis... soudain... je m'enflamme.
C'est une sensation inconnue, pour moi, cette douleur semblant risible à côté de celle qui a peuplé mes batailles, le froid d'une lame pénétrant mes chairs est infiniment plus douloureux que cette chaleur. Et pourtant, je sens le feu qui me ronge lentement, c'est presque agréable, je meurs en douceur et mes cendres, après avoir vogué dans les vents, iront lentement peupler l'océan.

Non

Mes ailes se déploient, leur lueur sombre chasse les flammes comme un ouragan soufflerai sur une bougie. J'oubliais, seul les inférieurs peuvent se laisser brûler dans l'atmosphère. Tiens, j'avais presque oublié à quel point elles étaient noires. Dans le vide spatial, elles semblaient invisibles, dans le bleu de l'azur, leur couleur est une véritable torture pour mes yeux. Je les rentre en moi, je ne veux plus les voir... ma chute reprend.
Mais le feu n'est plus là, je n'ai plus la vitesse nécessaire. Lentement, mes chairs brulées se reforme, mes cheveux repoussent, déployant leur voile brun dans l'infini du ciel. Je plonge vers l'océan, cette fois je vais mourir pour de bon, après une telle chute, l'eau est un mur d'acier. Je traverse les nuages, les particules d'eau sont une douce caresse sur ma peau, je sens le vent de ma chute agiter mes cheveux. L'océan se rapproche, j'aperçois les vagues à présent, étrangement, d'ici, il semble plus sombre, la plaque de verre à laisser la place à une houle sombre... sombre.

Mes ailes se déploient à nouveau, mais sur mon ordre cette fois.
Je ne peux mourir dans ces ténèbres abyssales, rien ne me repousse plus que les ombres. Je détourne le regard de l'eau et je me plonge dans la contemplation des nuages.

Oui, c'est là que je voudrais vivre, parmi ces voiles blancs et crémeux qui errent dans le bleu du ciel sans jamais s'occuper du reste, parfois ils tremblent de colère et jettent vers la terre la foudre de leur courroux, parfois ils pleurent des pluies torrentielles, parfois encore, dans des moments de tendresse, ils déversent sur les terres glacées des tourbillons de neige douce et volatile. Colère, tristesse et amour, voilà ce qu'il voulait, juste ces trois choses, trois choses que je ressens en ce moment plus que tout.

J'aime Lilith, traîtresse impardonnable dont je ne peux détacher son cœur.
Je pleure ces frères, qui me voient désormais comme un traître et un banni.
Je hais Dieu, père et créateur qui me punit d'aimer un autre que lui.

Je suis un nuage... Un nuage aux larges ailes noires et j'erre dans le ciel infini, reverdissant ma colère, ma tristesse et mon amour.

Je suis Gabriel.

Chapitre second : La première pierre.

Combien d'années, combien de siècles ? Qu'importe. Mon errance fut longue, ma réflexion aussi, en premier l'amour s'est tut, joignant dans la colère mon père et mon amante. Puis, bien plus tard la colère a disparu à son tour, ne me laissant que les larmes.
Puis les larmes se sont taries.
Je ne suis plus un nuage, je ne suis plus qu'un Ange aux ailes noires qui vole dans le ciel, perdu à jamais.

Je veux m'asseoir.
Étrange désir, mais qu'importe, cela fait longtemps que je vole, trop longtemps. Je descends. Je cherche une montagne, un endroit que les Humains n'ont pas encore investit. Je ne dois pas me montrer à eux, Dieu nous l'a... Je ris, je suis risible, j'obéis encore, après tant de saisons, aux ordres du Créateur. Est-ce ce que l'on nomme « l'amour filial » ? Non, « Bourrage de Crâne » me semble bien plus approprié.
Ha ! Une cime. Je vole jusqu'au promontoire rocheux, je pose ma main dessus.
Un tremblement parcours tout mon corps. Cela fait si longtemps que je n'avais pas touché quelque chose de solide... Je m'assoie dessus, appréciant le froid de la pierre tout autant que sa dureté rugueuse. La pointe d'une de mes plumes caressent doucement la roche, je pousse un soupir de contentement.

Puis j'observe les nuages... sombres ?
Ils sont blancs - Cela n'est pas près de changer - mais, le soleil derrière eux, ils semblent presque noirs. Cela me révulse et pourtant, je refuse de quitter mon siège. Un choix ? Cela fait trop longtemps, je refuse de trancher. Mon pouvoir se met en marche et, doucement, la roche se détache de la montagne, s'élevant dans les airs sans le moindre problème. Pour la première fois depuis longtemps, je suis heureux d'avoir tant de pouvoirs. Sans cela, j'aurais eu beaucoup plus de mal à soulever ce bloc de granite pour emmener mon siège avec moi.
Lentement, la roche s'élève, tel un nouveau nuage, lourd et solide et dont la teinte sombre jure avec la blancheur immaculée des occupants. Assis sur mon siège improvisé, je me dis que ce serait un lieu parfait pour se construire un habitat. Quelle drôle d'idée, les Anges n'ont pas besoin de maison, mais, malgré tout, plus j'y pense, plus cela me plaît. Pourquoi pas ? Mais que construire ? Un château ? Non, cela prendrait trop de temps, une simple tour suffira.